La nouvelle norme pour retrouver le succès en F1
Maitriser son personnel et sa technologie a été pendant longtemps le modèle ultime pour vaincre en F1. Ainsi, McLaren casse les codes, construisant un nouveau récit.
VERSION BULLET POINT
La technologie était la solution pour progresser et les écuries misent beaucoup dessus.
McLaren a fait le choix de changer de culture, passant de la culture de l’ingénieur classique à celle du retour d’information et son traitement.
La technologie était l’arme des petits contre les gros, mais désormais les écuries passent leur temps à traiter l’informations et non plus penser globalement le projet.
VERSION LONGUE
Pendant longtemps, la maitrise était un élément commun à l’ensemble des bureaux d’études en F1. La maitrise du calendrier de planification, la maitrise des outils de simulation, aérodynamique ou de conception, la maitrise de la réglementation à chaque évolution validées. Toutefois, depuis l’introduction de l’effet de sol en 2022, les certitudes ont été rudement mises à l’épreuve. Les écuries se sont renforcer dans les domaines techniques clés, amélioration de leur traitement de données, sécurisation des communications, utilisation des technologies de l’intelligence artificielle, sans véritablement répondre au nouveau mode opératoire (UCAV) qu’impose la F1 moderne, seul McLaren a réussit à change sa culture.
Voir la tête des ingénieurs de la Scuderia Ferrari après la course de Barcelone, ou l’incompréhension et la résignation était visible sur les visages, pouvait intérroger. Depuis Imola, le bureau d’étude accélère sa planification pour rendre plus performante la SF25. Pourtant, à Barcelone, le saut qualitatif n’a pas été perçu. En interne, Lewis Hamilton demande d’abandonner la plate-forme actuelle pour rester concentrer sur le modèle 2026, hautement stratégique. Pourtant, personne ne semble abandonner à Maranello. Pourquoi ? Fred Vasseur estime que les erreurs de développement de la SF25, seront utiles, car ne devant plus être reconduit pour l’avenir. En cela, Vasseur et Ferrari tente une approche, sans évoluer pleinement.
Pendant l’ère 2017/2021, la performance relevait des mises à jour aérodynamiques. Comme dans les années 2000/2005. Une mise à jour, était un gain de performance maitrisé. Mais, avec l’introduction en 2022 de l’effet de sol, avec 70% de l’appui au centre de la monoplace, il a fallut trouver d’autres solutions.
L'équipe Mercedes AMG F1 avait gagné durant la saison 2022, un total de 9 dixièmes entre le début et la fin de saison.
- 2 dixièmes via les gains d'exploitation de réglages
- 4 dixièmes via la directive technique 39 introduite au GP de Belgique
- 3 dixièmes via l'introduction du nouveau package au GP des USA.
En 2023, Fred Vasseur a introduit le concept de gains par l’exploitation des réglages, notion inconnue en interne à Maranello. Mais, avec la SF25, elle retourne dans ses travers de l’évolution aérodynamique, misant sur les ailerons (30% de l’appui), plutôt que de ce concentrer sur la partie centrale de sa machine.
Après sa saison catastrophique en 2022, McLaren a fait un choix radical. Cela n’a pas été simple, car il fallait tout changer. L’introduction du nouveau plancher au GP de Miami 2024, a ouvert une nouvelle dimension. Contrairement aux rivaux qui se sont précipités pour mettre en œuvre des changements, parfois au détriment de la performance, McLaren a adopté une approche mesurée. Cela était particulièrement évident avec leur package de fin de saison introduit à Austin 2024. Bien que les gains de performance étaient plus petits, la diligence de l’équipe a assuré que la mise à niveau était cohérente à travers toutes les phases du virage.
Alors que les écuries investissaient fortement dans des outils technologiques, pour trouver des solutions, durant toute la saison 2024, McLaren s’est concentré sur un élément qu’elle maitrisait : Sa politique de planification interne des évolutions. Privilégiant la qualité sur l’urgence, qui était la norme depuis 2022. En cela, l’usine de Woking (comme Haas, Sauber et Williams qui ont copié la méthode), a résolu le problème de la pression du temps. La pression pour trouver de la performance est présente, mais l’échéance n’est plus dans l’équation.
La technologie comme salut
Lorsque Benetton Formula remportait ses courses, avec Michael Schumacher entre 1994 et 1995, c’était les ordinateurs qui définissaient la meilleure stratégie, le meilleur moment pour ravitailler en course. La technologie était au centre, mais cela a rendu l’équipe rigide, lorsqu’en 1996, tout c’est effondré avec la B196. La maitrise des outils était au début de l’histoire. Pourtant ce qu’a vécu Mercedes entre 2022 et 2023, et actuellement Red Bull est assez similaire. Les deux équipes ont beaucoup investit dans le recrutement de partenaires technologiques, devant permettre d’obtenir des gains de performances dans tout les domaines.
Dans le transfert des données du garage à l’usine, dans les données traités en soufflerie, simulation en usine en parallèle de la course pour trouver les réglages, l’utilisation de l’IA dans les réunions avec pilote après les séances d’essais et course, dans le traitement de l’information pour la réunion du mardi. La technologie est au centre de la vie des écuries depuis quelques années, présentée comme l’évolution logique. Le prolongement de l’approche Benetton de l’époque. Pourquoi Benetton Formula avait eu cette approche ? car elle avait 50% de personnel en moins que Williams et McLaren à l’époque et que la technologie était un moyen de compenser. L’approche a été amélioré à partir de 1998, chez Ferrari, sous la direction de Ross Brawn, pour devenir la norme aujourd’hui. Mais, à l’ère des écuries de 1.000 employés, avec plus de 700 personnes dédiés à l’aspect technique, le modèle présente ses limites.
Les écuries passent ainsi leur temps à traiter les donnés et ne réflechissent plus globalement au problématique de conception d’une monoplace. Ce qui explique les problème dans les mises à jour. Le pire est à craindre avec l’introduction de la nouvelle réglementation moteur 2026, ou l’intelligence artificielle sera optimiser pour la gestion de la partie éléctrique, qui représentera 50% de la puissance moteur. Car sans maitrise, la puissance n’est rien. Ainsi, méfiance si une équipe communique beaucoup sur sa technologie (Racing Bulls avec sa technologie IA de mise à jour par exemple). Surtout qu’en parallèle des solutions alternatives, surgissant du passé renaissent.
La culture de l’espionnage
Les anciens se souviendront d’Adrian Newey, à Monaco 1997, avec son carnet au-dessus du stand Ferrari, dessinant des croquis. Voir en 1999, l’aérodynamicien BAR, Willem Toet, armé de son grand angle et mitraillant à Barcelone les McLaren, Ferrari, Williams et Jordan, pour découvrir les secrets de conception.
En 2024, aucune équipe ne l’admettra , mais elles emploient (indirectement) des personnes dont la mission est de déchiffrer les secrets techniques de ses concurrents. Au moins une personne, parfois trois ou quatre, dont l’objectif est de capturer le moindre détail technique des voitures rivales.
L’espionnage est devenue une norme depuis les années 90, avec les écoutes des radios. Des vols d’ordinateurs, et le transfert des plans des ingénieurs. Lorsqu’Adrian Newey était passé de Leyton House à Williams en 1991, dans le bureau d’étude de la première, son remplaçant a découvert les plans d’une machine ressemblant à la FW14, qui gagnera le titre de champion du monde avec Nigel Mansell en 1992 et qui gagnera un total de 17 victoires en 32 courses entre 1991 et 1992. C’était la pratique. Les ingénieurs se rencontrent, échangent souvent. En Angleterre, il faut fréquenter les pubs après une journée de travaille en fin de semaine, pour obtenir des informations. Longtemps les journalistes faisaient cela. Pourtant en 2007, lorsque Nigel Stepney rencontre à Port Ginesta, près de Barcelone, Mike Coughlan pour lui remettre un dossier confidentiel de 780 pages sur Ferrari… Cette fois le dérapage était avéré. Sous la pression McLaren-Mercedes de l’époque, il fallait maitriser tout les éléments techniques de la monoplace pour rivaliser avec la Scuderia Ferrari. Connaitre ses secrets étaient ainsi l’arme ultime. La sanction a été implacable, 100 millions de dollars et une tache dans l’histoire McLaren. Pourtant, dans les faits, la pratique n’a jamais cessée. Quelques mois plus tard, Renault était dans la tourmente avec le transfert d’un ingénieur de la Scuderia, spécialisé dans les logiciels. Ici aussi le méfait était avéré, mais réglé dans la discrétion des murs de la Place Concorde à Paris. D’ailleurs, l’affaire récente Cardile/Ferrari/Aston Martin est un dernier avatar de ce genre d’affaire. Pourtant traité au tribunal et finalement discrètement relayé. Bons baisers de Silverstone.
Les équipes emploient ainsi, des agents, des photographes accrédités, travaillant pour un média bien officiel, mais également payé par des écuries pour répondre à des commandes spécifiques, soit du Team Principal (lorsque ce dernier est ingénieur), soit de la direction technique de l’écurie. Ne les cherchés pas, ils ne fréquentes pas les hôtels des équipes, n’ont pas de polo avec le logo de l’écurie, ne fréquentes pas les mêmes vols. Ils sont journalistes surtout, donc dans la masse.
Les écuries depuis 2022, étant focus sur les améliorations de chacun dans le paddock, la première mission est de soumettre les mises à jour à chaque course. La deuxième partie consiste à faire des rapports plus approfondis sur différentes parties des monoplaces. La suspension est la demande la plus courante. Encore une fois, maitriser l’information est primordiale dans la F1 moderne.
Le changement de culture interne
Lors de plusieurs épisodes de la série Netflix Drive to Survive, lorsque l’équipe de tournage suivait Haas, le même plan revenait, saison après saison. Romain Grosjean, Kevin Magnussen qui indiquaient leur ressenti et demandaient des changements. En face, des ingénieurs plongés dans leur mutisme, ne comprenant pas ce qui était demandé. Le comportement des ingénieurs Haas, étaient la norme pendant un bon moment. Depuis, avec le succès de McLaren, c’est une nouvelle vision qui s’installe. La culture de l’ingénieur est révisée. Il s’agit de partir de problème vécus par les pilotes et non plus prendre comme point de départ les actifs internes à l’écurie, c’est-à-dire tout miser sur l’évolution technique par la technologie, pour obtenir un gain de performance. Ce changement de mentalité met environ une saison à s’installer. Ayao Komatsu, au nom de Haas, avait avoué en fin de saison 2024, que trois grandes mises à jour ont été réalisé sur la VF24. Une première qui avait obtenue un gain de performance en deçà des données, une seconde qui apportait plus sur le terrain que les données l’indiquait et la troisième qui n’avait strictement rien apporté, alors qu’en simulation elle devait offrir un gain de deux dixièmes au tour.
George Russell, en 2023, avait indiqué lors d’une conférence de presse d’avant Grand Prix, que le « mythe du pilote qui règle sa voiture est une histoire et qu’elle ou n’a jamais vraiment existé ». Le pilote anglais parle de son expérience récente de la F1. En réalité il ne disait pas toute la vérité. Son avis comptera dans à l’avenir.
Le changement de culture était nécessaire, car la méthode traditionnelle ne fonctionnait plus. La gestion de projet en silos, maitrisé, pourtant la norme à mesure que les équipes grandissaient, a démontré une efficacité limitée dans un monde VUCA (acronyme signifiant en français volatilité, incertitude, complexité et ambiguïté). Sur le principe, la mission de chacun est venue remplacer l’ancien système de contrôle en silos. McLaren a eu des difficultés pour la mettre en place durant la saison 2023, car les cadres techniques avaient plusieurs missions à gérer, menaçant d’épuisement, mais nécessaire pour briser la culture de maitrise précédente.
Ainsi, le modèle mis en place par McLaren, depuis 2023, est un modèle de mission qui exige à ses responsables : un objectif clairement défini à l’avance, des ressources et un délai d’exécution.
Le reste est décidé en piste. C’est un ensemble dans sa globalité. Red Bull maitrise ses stratégies en course, mais peine à mettre à jour sa monoplace, la comprendre et obtenir des gains, misant sur ses outils technologiques (une communication sur sa soufflerie a été récemment réalisée). La même chose pour Ferrari. Tout est encore séparé, et non intégré. L’innovation provient du management et non de la technologie et des outils.
La maitrise, autrefois une qualité, est devenu un défaut depuis 2022 avec l’introduction d’un règlement brisant les certitudes d’une génération d’ingénieurs F1. Un moment intéressant à observer pour 2026. Comme Mercedes, qui entre 2014 et 2021, a imposé une culture du succès pour maintenir sa domination, McLaren présente un tutoriel pour retrouver le sommet.
Merci pour votre précieuse attention.
Marc Limacher.