F1 et l'odyssée de l'espace
Depuis vingt ans, l'aéronautique et l'espace inspirent la Formule 1 dans l'organisation des écuries. Au point que Cadillac va s'inspirer du programme Apollo, pour lancer son projet F1 en 2026.
VERSION BULLET POINT
Cadillac s’inspire du programme Apollo pour lancer son projet F1 en mettant en avant la coordination et interaction des parties prenantes
La planification est au centre du programme Apollo et il a inspiré la culture industrielle depuis 50 ans (mais il a des défauts majeurs).
Pourtant Apollo n’est pas la norme, McLaren (sous l’ère Ron Dennis), Prost Grand Prix, Toyota et Renault au début des années 2000 ont tenté d’autres approches.
L’organisation Ruche de Space X est désormais la norme dans les usines F1.
VERSION LONGUE
Graeme Lowdon, directeur de l’équipe Cadillac F1, lors de la présentation d’étape à la presse, du projet du constructeur américain, a annoncé qu’il allait s’inspirer du programme Apollo pour lancer le projet du constructeur américain en 2026. Mais cela veut dire quoi concrètement ? Précisons que ce n’est pas la première fois que la F1 s’inspire d’un programme aéronautique pour construire une organisation efficiente. Montrant l’ampleur du chantier pour construire et faire fonctionner un programme F1 moderne. De Apollo à Space X, les méthodes inspirent les écuries.
Le 25 Mai 1961, la NASA s’est vu confier une mission par le président Kennedy : Envoyer un homme sur la lune avant la fin de la décennie. De ce moment, tout a été accomplis en un temps record, alors que c’était impossible. L’innovation n’était pas que technique, l’organisation du travail et de l’ensemble du programme a été cruciale. Au total, 400.000 hommes et femmes ont écrit l’histoire et le programme a couté l’équivalent de 320 milliards d’aujourd’hui.
Le rapport donc entre le programme Apollo et Cadillac F1 ? Le fonctionnement et la coordination. Pour exemple, Graeme Lowdon s’est attaché à imaginer une structure favorisant l’interaction entre les parties prenantes. Un ingénieur à Charlotte, doit échanger avec un autre à Warren (Michigan) ou à Silverstone et Cologne. La structure Cadillac est horizontale, similaire à celle du programme Apollo.
Apollo et la réalité du mode d’organisation
Le programme Apollo est considéré par tous comme un remarquable exploit humain. Mais pour beaucoup de responsables de la NASA, son succès est d’abord dû à une gestion de projet parfaitement maîtrisée. Un principe inventé pour l’occasion et qui s’est généralisé dans les années 70, pour dominer le monde l’entreprise et de l’industrie.
Neuf importantes leçons peuvent être tirées de la réussite du programme Apollo, que l’on peut appliquer à n’importe quelle gestion de projet d’envergure.
1. Communiquer ouvertement avec toutes les parties prenantes
2. La planification est l’étape la plus importante
3. N’ayez pas peur de modifier vos plans
4. Tenez compte des risques, mais ne les laissez pas freiner vos ambitions
5. Faites de la communication au sein de vos équipes un élément stratégique
6. Déléguez !
7. Apprenez de vos erreurs
8. Célébrez les succès de toute l’équipe
9. Assurez-vous que vos succès puissent être renouvelés.
Sur le principe, la culture projet du programme Apollo impose un manager qui dirige l’ensemble de l’équipe (chef de projet), l’efficacité des ressources repose sur chaque individu et tout est optimisé (le temps, le talent). La structure est divisé en plusieurs sous-projets et phases de développement. La communication ainsi que le pouvoir est descendant, les managers assignent des membres aux projets et pour les suivis de projet, le système est inverse, les membres d’une équipe informent leur manager qui remonte l’information à leur manager. Tout tourne autour des projets, c’est la raison d’être, par conséquent, les membres sont aussi interchangeables et naviguent d’un projet à un autre en fonction du besoin d’expertise.
Notons toutefois que le programme Apollo mettait surtout en concurrence les parties prenantes, afin de tirer par le haut et gagner du temps.
Les évadés de l’espace
En 1995, lorsque Ron Dennis signe un partenariat de fourniture moteur avec Mercedes-Benz, une organisation de travail se met en place. Chaque haut cadre de l’organigramme avait son avatar châssis et moteur. En 1998, Prost Grand Prix, s’inspira du même concept avec Peugeot Sport. Une organisation sous forme de quatre ateliers : Alain Prost/Pierre Michel Fauconnier (orientation générale et direction de projet), Bernard Dudot/Jean Pierre Boudy (Elaboration de la première monoplace à moteur V10 Peugeot), Didier Perrin/Jacques Levacher (Logistique terrain et réparation tâches), Jean Luc Gripond/Jean Marc Rabus (Répartition et harmonisation des responsabilités administratives). Une organisation qui fonctionne assez bien. Car il y a toujours un risque de superposition de compétences malgré tout.
Le modèle McLaren/Prost devient la norme au début des années 2000. L’exception était l’écurie Toyota F1 Team. Le constructeur japonais estimant que le transfert de technologie de la F1 à la voiture de route étant limité, a surtout privilégié sa philosophie de travail pour dominer la discipline. Les ingrédients du Système de production Toyota, plus connu sous le nom de Kaizen (le progrès continu ou le concept selon lequel il ne faut jamais être satisfait), Kanban (réussir dans les temps), Genchi Genbutsu (remonter à la source le problèmes avec discipline) et d’autres concept Toyota qui ont réduit de 50% le temps de fabrication d’une nouvelle F1 sont appliqués dans l’usine de Cologne depuis 2003. L’ambition du géant nippon était de démontrer que ses principes étaient universels. C’était son ambition première à partir de 2004. Lorsque Renault reprend l’écurie Benetton Formula en Mars 2000, dès le départ, c’est une organisation ressemblant à celle utilisé par Renault avec Nissan et piloté par Carlos Ghosn qui est proposé. Sous le verni de l’innovation, c’est un avatar de l’organisation Prost/Peugeot à plus grande échelle. Pour la F1 toutefois, dès 2001 et afin de respecter son plan, Flavio Briatore au nom de Renault F1 Team a copié le modèle du Concorde.
Le programme Concorde
Le programme d’avion supersonique Concorde est né en Novembre1962 par le regroupement des projets de Super Caravelle (par Sud Aviation) et du Bristol 223 (Bristol Aeroplane Compagny). Pourtant les deux projets étaient bien avancé dans les années 60, mais les énormes coûts de développement des appareils amènent les Etats à faire collaboration. Ainsi le développement de Concorde est un accord Franco-Britannique avant d’être un accord commerciale entre deux constructeurs. La culture du compromis a été créé et mise en place pour concevoir l’avion. Un cahier des charges est défini et tout a été créé (Commandes de vol électrique, aile néogothique, simulateur de vol, pilote automatique, répartition des masses).
Ce modèle, qui a inspiré par la suite les programmes Ariane et Airbus repose sur des spécialisations de chacun. Pour la F1, Renault avait d’un côté Enstone, le châssis et Viry-Châtillon, le moteur. Au départ, chacun avait sa spécialité et réalisait sa partie. Dans les faits, Viry-Châtillon fournissait Enstone, comme Honda le faisait pour BAR, BMW pour Williams. Une vingtaine d’ingénieurs français étaient présent entre 9 et 12 mois dans l’usine anglaise pour établir un retour sur investissement. Comme pour Peugeot et Prost par exemple.
En 2003, Patrick Faure, au nom de Renault Groupe a décidé de restructurer et imposa un comité de 5 personnes d’Enstone et 5 de Viry-Châtillon pour prendre des décisions stratégiques et cohésions (donc une version marketing du modèle McLaren/Mercedes et Prost/Peugeot). Une dizaine de français venant du Technocentre Renault de Guyancourt ont été mis en poste temps plein. Il y a eu même une équipe d’une cinquantaine de personnes rattaché à Enstone pour la conception et développement du moteur 2004 (ex-unité moteur TWR/Hart F1), afin de challenger les uns et les autres. Au moment cruciale du titre de 2005, la pensée unique a été la recette. La culture de l’innovation française des moteurs a laissé place au pragmatisme anglais avec la nomination de Rob White à la tête de Renault Sport à Viry-Châtillon. Montrant qu’au-delà de l’organisation, la culture reste un élément important pour maitriser son plan.
La culture de la ruche de Space X
Le défaut majeur du programme Apollo est la communication. Elle était forcée et a créé une culture de la réunion permanente dans les organisations, transformant le programme en bureaucratie sur le long termes, pire elle est source de conflit et provoque la culture du silence dans les organisations, voir la culture du rejet sur l’autre. Car les objectifs du cahier des charges ne sont pas atteint par une sous partie, par exemple. Pour résoudre le problème de la communication, la Formule 1 s’est inspiré de Space X pour la réorganisation de ses usines.
La nature nous montre son efficacité. Les étourneaux et les poissons sont en nuée et leur survie dépendant de l’organisation de proche en proche. L’important est d’avoir l’information. L’organisation collective permet au groupe d’ainsi mieux répondre à une attaque de prédateur ou de mieux explorer l’environnement.
Dans la première usine de Hawthrone, Space X avait mis en place une organisation en ruche. Les ingénieurs et informaticiens côtoyaient les mécaniciens, les soudeurs etc… Là où les organisations isolent les équipes et les fonctions les unes des autres (héritage du programme Apollo), Space X oppose un apparent chaos, mais en réalité tout est fait pour provoquer la communication, l’échange d’informations et d’idées. L’organisation est ainsi verticale sur toutes les chaines de valeurs, et en mode commandos formés de 7 ou 8 personnes maximum.
Les écuries de F1 ont copiés depuis la crise COVID le mode d’organisation dans les usines afin de favoriser la solidarité des membres (les parties prenantes) et renforcer les liens entre les équipes. Red Bull Racing à Milton Keynes, Mercedes AMG à Brackley, McLaren à Woking et désormais Sauber/Audi.
La guerre des mondes
L’organisation McLaren/Mercedes n’a pas résisté à l’usure du temps. Les principes Toyota n’ont pas permis au constructeur de remporter un championnat (mais cela a été copié par tout le monde depuis), l’inspiration de Concorde, pour Renault au début du programme F1 a eu les mêmes conséquences que pour l’avion supersonique. Privilégiant non pas la simulation numérique, mais les tests réels et en mettant en rivalité les bureaux d’études.
Au début de l’aventure, Cadillac a besoin de construire, de planifier et d’obtenir l’obéissance de ses membres. S’inspirer du programme Apollo n’est pas une mauvaise idée. Mais, pour évoluer, l’organisation ruche, type Space X, permet d’obtenir de la motivation et de l’engagement. Si la première approche est performante pour gérer des tâches en silos, la seconde favorise la créativité dans un univers complexe. Les managers dans la première donnaient des ordres, dans la seconde ils sont des facilitateurs et favorise l’autonomie. Deux mondes, l’un symbole du XX ème siècle et l’autre du XXI ème siècle.
Merci pour votre temps.
…Marc